La Tijaniya et son Oeuvre Islamique

 

par le Pr Abdelaziz BENABDALLAH

Contribution à la 4ème Edition du Forum National sur la Tijaniya - Paris 2008



Je tiens tout d’abord, à rendre hommage à l’éminente Association Talibé Cheikh (T.C) et aux autres Associations Tijanies frères en France. La mission qu’elles se sont arrogées est digne d’un tel Forum, car elle vise notamment l’analyse et le développement de l’œuvre grandiose de notre confrérie, en Occident et de par le Monde, en tant que vecteur de paix , de fraternité et de tolérance. C’est là, un leitmotiv, créateur d’harmonie vitale, apte à rendre l’homme, de plus en plus sociable, dans le respect mutuel des droits et devoirs de chacun ; L’épanouissement et le rayonnement individuels et collectifs, d’un tel idéal, a pour assise un dialogue conséquent positif et bénéfique, qui élimine et refoule tout mobile factice de tension, toute cause de mésentente, de discordance et de tiraillement, ne retenant que les ressemblances effectives et les dénominateurs communs créateurs, sources de la communion originelle  de notre Esprit  Abrahamique, qui englobe les Trois Religions révélées. Une telle potentialité est à même, à elle seule, de conforter notre fraternité originale ; il s’agit, là, d’une occurrence, d’autant plus efficiente, qu’elle est renforcée par une sourate coranique où le Livre Sacré proclame solennellement  que l’Islam n’est que le Rappel des deux Livres : la Bible et l’Evangile.

Ce processus vigilant est dynamique, dans le développement d’une écologie agissante. Le triomphe de l’humanité, dans son environnement fraternel est érigé par l’islam ; il entamera, certes, d’une position de force, un dialogue cohérent, en dehors de toutes manipulations démoniaques des mouvements sectaires.
Mais, notre Confrérie, sunnite dans son idéal et son but, est digne de participer sciemment, pour asseoir l’émergence d’une telle mondialisation sereine et mutuellement souveraine.

Ainsi, la sublime mission de la Tarîqa Tijaniya, dans la confortation de la pensée islamique sunnite, à l'échelle mondiale, nécessite de notre part, le déploiement d'un effort constant et efficient. Le rôle éminent, joué durant deux siècles par le Vénérable Promoteur de cette Tarîqa Mohammadienne, doit marquer et orienter  nos actions  et nos options, dans le développement universel de l'islam. Nous devons, donc, œuvrer fermement, à cet effet, avec efficience et appropriation.

Le Soufisme, mouvement idéal et transcendant, dans ses comportements désintéressés et purs, a été faussé par de pseudo-soufis qui ont notamment dévié des traditions salafies. Certes, le Soufisme mohammadien est le compendium des traditions authentiques sublimes, qui tendent à créer, dans le comportement d'un vrai croyant, un équilibre humainement rationnel. C'est dans l'ambiance luminescente et irradiante des compagnons du Prophète, que les cœurs ont été revivifiés ; cela a duré trois siècles. Passés les stades d'illumination spontanée, les croyants qui recherchaient la transcendance et l'approche d'Allah, s'armaient de litanies dont le pluralisme se cristallisera, dès le IVème siècle de l'hégire, en "wirds" (1) et "wadhifas" (2).

Certaines excentricités apocryphes commencèrent à travestir la pensée soufie salafie ; ce qui amena certains cheikhs, parmi lesquels le célèbre Al Jonéïd, à proclamer que le vrai soufisme a pour fondement la double source de la Charia : le Coran et la Sounna. Les maîtres de la gnose sentirent une vive répugnance pour les déviances qui risquaient de sombrer dans l'hérésie. D'autres cheikhs, attachés au salafisme, se proclamèrent, alors, mohammadiens, sans nulle attache avec les congrégations qui commençaient à se multiplier, dans un certain désarroi et une fâcheuse confusion.

On peut se demander, alors, quel est le rôle des confréries religieuses ?
Le grand leader arabe, l'Emir Chakîb Arsalân s'est posé, dans son ouvrage ‘‘Le Monde Musulman contemporain’’ cette question que tout un chacun se pose, d'une manière ou d'une autre. Il essaya d'y répondre objectivement, en analysant le rôle catalyseur des Confréries Tijanies, qâdirites et Sanoussies, en Afrique, après avoir testé sur le terrain, l'apport bénéfique de ces groupements soufis. Se référant à l'œuvre de G. Bonnet Maury, ‘‘L'Islamisme et le Christianisme en Afrique’’, l'Emir affirme :
« l'Afrique aurait été entièrement islamisée, sans ce coup porté par la France à l'influence de la Confrérie Tijanie… ; le fait est comparable à l'élan d'islamisation de l'Europe, arrêté à Poitiers, par Charles Martel. » (3).
 
L'éminent érudit Mohammed Jabir, Cheikh de l'Université Al Azhar au Caire, souligne dans son commentaire de l'ouvrage de Ghazali "el Mounqidh mina Ad-dalâl" (éd. Beyrouth, p.52) que  « sans la Tarîqa Tijania, en Afrique du Nord, le colonialisme français aurait déchiqueté les dogmes de l'Islam dans ces pays ; de même que les Ordres Idrissi à Tripoli et Khatmia au Soudan ; la protection de ces confréries par les gouvernements islamiques s'avère comme sauvegarde du credo de la masse musulmane menacée par les intrigues du colonialisme et les missions chrétiennes ».

L'adepte Tijani africain reçoit, certes, de son moqaddem, un chapelet, symbole d'une double lutte, contre, d'une part, les mauvais penchants de l'âme corrompue et, d'autre part, contre l'occupation de l'Afrique par la France et ses acolytes. Ces deux leitmotive faisaient de l'initié un combattant en quête d'une saine et sereine liberté, qui lui permet de mener un train de vie idéal sur le double plan spirituel et somato-psychique.

"Le culte des saints", notion chrétienne introduite par certains orientalistes occidentaux, est une fausse appellation, car le vrai Saint, quel que soit le degré qu'il puisse atteindre, dans la voie hiérarchique, demeure le serviteur d'Allah.

Le Coran a défini les limites d'accès à Dieu, consistant exclusivement à L'adorer Seul, à éviter toute médiation comportant un signe divin de prééminence. La condition sine qua non de toute médiation légitime, est la conviction que le médiateur n'est qu'un serviteur d'Allah, ayant un grade initiatique supérieur. « Je suis près de Mon serviteur » – proclame notre Seigneur dans le Coran -, « il doit s'aligner à Mes commandements, pour être agréé », « O vous qui avez cru ! Craignez pieusement Dieu, recherchez tout moyen qui vous donne accès à Lui » (Sourate 5, verset 35).

Ce moyen réside, notamment, dans la piété et la pureté, mais, d'après maints hadiths, Dieu permet à certains de Ses Elus, d'intercéder pour leurs tribus ou leurs proches ; mais, cette intercession ne doit nullement aboutir à un quelconque "culte des saints" qui en sont investis. Ils demeurent serviteurs d'Allah, comme le reste des Croyants. Les adeptes d'une confrérie risquent de sombrer dans un culte mécréant, s'ils voient, dans leurs maîtres et initiateurs, autre chose que de simples serviteurs élus par leur Seigneur. Le Cheikh Sidi Ahmed Tijani exige de son adepte, de ne voir en lui qu'un guide et servile orientateur. Il taxe de mécréance tous ceux qui viennent se prosterner devant son tombeau où y immolent, en sacrifices, des ovins ou bovins, acte considéré comme un des "manasiks", actes cultuels affairant au Hajj (Pèlerinage).

Le Saint ne peut jamais être dispensé des prescriptions coraniques, s'il atteint un certain stade de transcendance sublime ; les Prophètes et Messagers de Dieu, eux-mêmes, n'ont pu que transcender dans l'approche vassale d'Allah, dans leur ascension vers la Présence divine. Quand bien même l'intellect de l'élu en arrive à refléter, comme un miroir transparent, les Lumières du Divin, il doit continuer à se soumettre aux obligations religieuses : Sidna Mohammed, Sceau des Prophètes, a donné, en l'occurrence, le meilleur exemple de vassalité à Dieu. L'observance des prescriptions positives de la loi divine, la pratique des actes cultuels, faciliteront au croyant accompli, la mise en relation avec le Corps du Ciel, la captation de l'influx des sphères célestes et l'intensification de la sympathie qui relie le microcosme au macrocosme. C'est là le secret de cette sublime accession, toujours de plus en plus transcendante, vers le Forum de la Présence, ascension qui actue les mondes, à travers l'impact cosmique des Noms divins, dont s'inspirent tous les Elus.

Aïn Mâdi (4) est l'oasis choisie par le quatrième grand père du Cheikh Tijani, Mokhtar, originaire des Tribus de Abda qui avait émigré, moins d'un siècle auparavant, fuyant le ravisseur portugais. Cet éminent Chérif, n'avait fait que se déplacer, en fait, d'une région marocaine, à une autre, car Aïn Mâdi, chef-lieu de la tribu Tijanie, faisait partie du Sahara Oriental, dépendant, alors, du Maroc Sidi el Mokhtar s'intégra, alors, par alliance, au sein du groupement tribal des Tijanis.

Sidi Ahmed est né à Aïn Mâdi, en l'an 1150 de l'hégire. Maints poèmes furent composés, pour commémorer cette naissance.
A  peine âgé de seize ans, le jeune Tijani avait accédé au rang de mufti, non seulement sur le plan de la Charia, en tant que jurisconsulte, mais dans le forum plénier des sciences et arts islamiques où il excellait. Les cours qu'il donnait dans les mosquées, les controverses qu'il animait avec l'élite intellectuelle de ses contemporains, proéminents dans leur spécialité, lui assurent une large suprématie, sur le plan exotérique. Son critère foncier, qui le distinguait et le marquait, dans la fleur de son adolescence, fut son attachement indélébile à un sounnisme authentique, dans son conceptualisme serein et son ponctualisme souverain. Les chapitres élaborés, en l'occurrence, dans Jawâhir el Maâny ( Perles des Idées) en font foi. Là, ses analyses pertinentes sont d'une grande ouverture, freinée exclusivement, par une observance stricte, mais bien mesurée des concepts et préceptes d'un Islam universel. Le dogme authentique de la Sounna, s'avère, alors, dans les composantes de ces analyses, bien documenté. C'est grâce à cette primauté exotérique pondérée, que l'ésotérisme Tijani s'avère si authentique, dans son élan somato-spirituel où la matière, chez l'être humain, n'est que l'élément complémentaire de sa spiritualité.

Dans son parcours, à travers le Maroc, une nouvelle conjoncture se présenta, dans le but d'entrer en contact avec de grands cheikhs soufis.
Suite à une série d'épreuves qui lui firent apparaître certaines spécificités marquantes et fins messages dont il était le destinataire, il s'empressa de retourner au Sahara. Là, il poursuivit ses prières, ses enseignements et ses sermons, durant un lustre, interrompus par des visites intermittentes à "Aïn Mâdi". Passé ce délai, il fit un saut à "Madinat el Jidâr’’ (Tlemcen) où il s'installa, s'ingéniant, outre ses offices et cultes, à enseigner le Hadith (tradition du Prophète) et le Tafsir (exégèse du Coran).

Un aimant irrésistible d'attraction émanait de sa personne, miraculeusement illuminée, exerçant une intense séduction dans toute son ambiance. Maintes délégations, affluaient de toutes parts, en quête de sa bénédiction. Loin de s'en enorgueillir, il les esquivait poliment, ne se croyant guère en mesure de transcender au rang de Cheikh. Une délicate retenue et une modeste pudeur, devaient motiver ces accès, non autorisés par son maître unique, le Prophète Sidna Mohammed - que Dieu le salue et le bénisse -. Le Cheikh Tijani, est, de plus en plus conscient, que tout engagement dans la direction des consciences, est fonction d'une permission formelle, émanant d'Allah, par l'entremise d'un Message Mohammadien.

Après un long séjour à Tlemcen, il reprit, en 1191h, le chemin à Fès ; il rencontra, alors, à Oujda, son deuxième disciple Sidi Ali Harazem, futur auteur de Jawahir el Maâny (Perles des Idées). Cet ouvrage, élaboré sur ordre du Cheikh, est devenu le compendium de la Tariqa et de la Haqiqa, dicté, dans sa majeure partie, par le promoteur de la Tijania. Ce Thesaurus est le fruit d'une haute acculturation, résultant d'une osmose interférentielle où les éléments d'un double flux s'interpénètrent intimement en l'an 1196h, il s’installa à Chellala et Abou Samghoûn, deux ksours du Sahara Oriental, où il s'était déjà, longtemps, recueilli. Il demeura, tout un lustre à Chellala, pour reprendre le Chemin d'Abou Samghoûn, en l'an 1199h, où il résida, quelque temps, avec sa famille.

Mais, dans tout ce processus, le Cheikh Tijani ne manquait pas de retourner à son village natal qui regorgeait d'éminents "alem" dont la vaste érudition attira l'attention du grand soufi, Abou Salem el 'Iyâchi, dans sa "Rihla" où il fit l'éloge de la prééminence de l'érudition polyvalente des Ulémas de Aïn Mâdi.

Au début, Sidi Ahmed n'avait pas quitté Aïn Mâdi, de bon gré. Il était constamment épié et obsédé, avec ses siens, par les Turcs. De retour de ses pérégrinations, il faisait une escale, de temps en temps, à Aïn Mâdi. Mais, dès l'an 1171h /1757 apr.J.C., il fut contraint de s'en éloigner, par les exactions répétées du Bey d'Oran Mohammed Ben Othmân. le Cheikh Tijani, âgé de cinquante quatre ans, cherchait à s'esquiver des zones troubles, pourchassé, par les autorités turques. Pendant plus d'une décennie ( 1774-1784), il ne cessa de faire la navette, entre Tlemcen (où il demeura huit ans jusqu'à 1774h ) et Fès (1781h), pour revenir à Abi Samghoûn et Chellala au Sahara, en 1784h. Le Maroc était, alors, dans la plénitude d'un mouvement salafi, animé par le Sultan, qui sera poursuivi, en liaison avec le Cheikh Tijani, dès l'an 1789.

La Tariqa Tijania, très stricte, dégagée de toute obédience chadhilite, se déclara, dès ses débuts, d'empreinte mohammadienne, rebutant tout débordement extatique, sans, pourtant, renier certains penchants humains, qui ne dévient, guère, du fondamentalisme bien conçu de l'Islam.

Après un périple, entre Abi Samghoûn, au Sahara Oriental et Tlemcen, le Cheikh Sidi Ahmed s'installa à Fès, sa demeure préférée, en l'an 1213h / 1798 ap. J.C. Son influence grandissante à Aïn Mâdi et au Sahara, inquiétait le Gouvernement Turc qui alla jusqu'à imposer un tribut annuel à Aïn Mâdi, en 1199 h / 1785 apr.J.C. La capitale Idrisside était, alors, le Centre d'épanouissement de l'Afrique (5). Son rayonnement est étayé par la grande Université de la Qaraouyène, édifiée en l'an 245h / 859 apr.J., bien avant l'Université de l'Azhar au Caire 359 h / 969 ap..J.C. ; Fès, étant le Centre africain optimal où s'accomplit la symbiose de la science de la Cité tunisienne de Qaïraouân et de celle de Cordoue, capitale de l'Andalousie omeyyade, à la suite de l'immigration à Fès de centaines de familles des deux capitales de l'Occident musulman. C'est "la Baghdad du Maghreb". "Pour la plupart des musulmans d'Afrique – fait remarquer Gabriel Charmes (6) -, Fès est la première ville sainte après la Mekke . Sa sainteté provient de son origine idrisside et du rôle qu'elle a joué dans l'histoire de l'Islam". "Fès –dit Delphyn – est le "Dar el 'Ilm" (la maison de Sapience), l'asile et le réceptacle de sciences islamiques, car la Qaraouyène fut "la première école du Monde" où affluaient les Egyptiens, les Tripolitains, les Andalous et même les Européens (7)". Des étudiants de l'Afrique occidentale ne cessent d'émigrer à Fès, pour parfaire leurs connaissances canoniques. Campou fait état de ces " étrangers de toutes nationalités et de toutes religions qui y accouraient de toutes parts."

C'est là où le Cheikh vint terminer ses jours, dans la Zaouiya-mère qu'il édifia à Fès, Recueilli dans la villa (Dar el Mrâya) que le Sultan Moulay Slimane mit à sa disposition. En sus de son activité cultuelle, de ses cours dispensés à la Qaraouyène et dans la Mosquée dite "ed-Diwân", sa vie intègre et sa grande érudition, émerveillèrent les Fassis et surtout le Souverain alaouite, qui s'érigea, alors, en défenseur du Sounnisme. Il trouva, en la personne du Cheikh Tijani, le symbole qui personnifie par son comportement et ses prêches, les concepts indélébiles de la Charia.
Au sein de son nouvel Ordre confrérique, nulle trace d'élans excentriques tels les "Mawâsim", les "Hadra" et les "reqs" (danses extatiques), autant d'actes que Moulay Slimane stigmatise et flétrit dans une épître qu'il élabora, en l'occurrence. Cette attitude salafie commune mit l'un au diapason de l'autre.

Un autre facteur, non moindre, rapprochait foncièrement les deux personnages, à savoir l'élan civique du Cheikh Tijani, en tant que citoyen marocain, issu de "Aïn Mâdi", un des centres religieux du Sahara oriental. Son choix de Fès, capitale de l'Empire, auréolée par son édificateur, Idriss II, est très significatif.

La nouvelle Tarîqa Tijania, ainsi dépouillée de toute fissure hérétique, finit par avoir un grand impact, qui incita le Sultan lui-même à s'y intégrer. De hautes responsabilités, accoururent de toute l'Afrique, attirées par l'éclat du célèbre réformateur dont l'avènement fut une réplique vivante au mouvement wahhabite naissant. Le Tunisien, Cheikh el Islam, Ibrahim Riyâhi et ses collègues (en-Nifer et 'Achour), le Mauritanien Mohammed el Hâfidh et tant d'autres, eurent l'heur de participer à l'expansion de la confrérie en Afrique. Une liste (8) de plus de cinq cents érudits africains figuraient, parmi les premiers disciples du Cheikh.

Cette mission transcendante, mise en avant par le Promoteur de notre Tarîqa , doit nous orienter  dans notre comportement individuel et notre ambiance collective . Personnellement, je n’avais cessé d’œuvrer, dans ce sens, dans les capitales d’Occident, depuis les années soixante dix.

Je fus, alors, invité à Bruxelles, par le corps diplomatique,  accrédité, dans la capitale belge, à faire une conférence, à laquelle assistaient, outre les diplomates, les membres du Gouvernement, et, à leur tête, le Prince héritier, aujourd’hui Roi de Belgique.  Par contre, nous affrontons, de nos jours, un nouveau mode de vie, celui d’interdépendance, à savoir la mondialisation, qui, malgré le concept qu’elle proclame, elle recèle l’inconnu, dans ses préceptes pratiques.

  L’Islam et  la Chrétienté, affrontent à l’état actuel, un processus ambigu, qui nous  incite à nous serrer les rangs, pour réagir.
 Mais, avant de donner une définition adéquate de la Chrétienté et de l’Islam, nous devons écarter tous les préjugés, qui sont de nature à fausser l’orientation de notre pensée, éviter notamment de voir l’Islam, à travers les Musulmans ou la Chrétienté, à travers les Chrétiens. Nous nous devons, pour rester objectifs, d’en analyser le contenu, le dogme, les principes et les moteurs, leur vitalité et  leur dynamisme respectifs. C’est, là, le mobile initiateur, le plus sûr, pour dégager les Trois Religions de certains fatras, et n’en esquisser qu’une fresque vivante, simple, à l’image de la réalité. C’est, certes, l’impact d’une communion de pensée originale, entre civilisations diverses et religions différentes, qui a inspiré Iqbal, célèbre leader indien musulman, à proclamer, dans ses ‘’Six Conférences’’ sur la restriction de la pensée religieuse en Islam », que « le phénomène - dit-il - le plus remarquable de l’histoire moderne, est la rapidité étonnante, avec laquelle, le Monde de l’Islam, se meut spirituellement, vers l’Occident. Il n’y a rien de vicieux, dans ce mouvement, ajoute-il, car la culture européenne, dans son aspect intellectuel, n’est que le développement postérieur de quelques unes des phases les plus importantes de la culture de l’Islam ».

L’humanisme abrahamique est, en effet, l’assise foncière de la Pensée judéo-christiano-mohammadienne, qui prêche la souplesse, la justice et l’aisance, comme critères essentiels de la fraternité humaine. Il exclut toute étroitesse d’esprit et tout rigorisme, évitant les complications et les heurts conflictuels, agissant avec pondération et mesure. « Evitez – dit le Prophète Mohammed – d’être les victimes d’un fanatisme exagéré et d’un bigotisme et religiosité excessifs » (Tabarany).

Allah aime Ses créatures, car, en chaque être, réside, à côté d’un subconscient adorateur, un for intérieur ou conscience agissante !

L’Ethique universelle, prônée par le Christianisme et l’Islam, a des composantes, dont les valeurs n’ont pas de frontières. Certaines manifestations de la pensée, peuvent varier d’une religion à une autre. Mais, le fond de cette pensée reste le même, parce qu’il est la résultante de cette communion humaine, que les deux Tendances cherchent, sinon à édifier, du moins à consolider. Je n’irai pas, jusqu’à prétendre ce que disait Bergson, que « l’Occident aura besoin d’un supplément d’âme, pour étayer sa foi ». Pourtant, l’obscurantisme des masses musulmanes et les effets maléfiques de certaines influences occidentales, avaient avivé les superstitions et les fausses croyances. L’Occident, mal avisé, jugea l’Islam, à partir de ces excentricités. Heureusement, certains chercheurs occidentaux, se penchèrent sur le fonds de l’Islam, pour dégager l’écart flagrant, entre son dogme et le béhaviorisme des musulmans.

Le véritable responsable, dans cette aberration des jugements et appréciations, qui touchent, notamment, l’Afrique et l’Asie musulmanes, est, moins un esprit foncièrement raciste, qu’un type de formation, dans maints pays de l’Occident, formation, qui accuse un vide, quand il s’agit de l’Orient Arabe et de l’Islam. C’est ce que M. le Châtelier appelle « le malaise des lacunes » ; dont souffrent –fait remarquer Max Vintéjoux – jusqu’aux hommes de l’Etat, qui ne connaissent le règne du souverain abbasside, Haroun Er-Rachid, que par les contes des « Mille et une nuits ». Pourtant, les peuples, qui, entre autres, appartiennent à la civilisation méditerranéenne, possèdent une même morale individualiste, qui « prolonge l’homme, au-delà de sa destinée terrestre ; c’est, là, le fondement de l’humanisme méditerranéen », qui caractérise la Chrétienté et l’Islam. La politique, certes, a tout faussé. Des Européens appellent « fanatisme », en Orient, ce que, chez eux, ils appellent « nationalisme » et patriotisme ; et ce qu’ils nomment « respect de soi », « fierté », « honneur national », ils le taxent de chauvinisme en Orient (Al Afghani, Revue des deux Mondes, 1913 . Mais, l’Islam – dit Louis Gardet – esquissa la tentation d’orgueil, à laquelle céda largement la culture occidentale, symbolisée  par une affirmation d’Ernest Renan, qui tenta de prouver, dans une Conférence à la Sorbonne : « la nullité des Arabes ».

Heureusement, dans cette ambiance maléfique, l’Eglise a été,  pour quelque chose, dans le retour au libéralisme humain et national. C’est, pour l’avenir des relations islamo-chrétiennes, un heureux et précieux augure.
 
André Siegfried, membre de l’Académie française, proclama, dans les « Annales » (revue nouvelle des lettres françaises n 21 ( , la supériorité  des Blancs occidentaux aux Blancs africano - orientaux.
Pourtant « La charte - dite - de Médine », élaborée par le Prophète, il y a quatorze siècles, dans cette cité religieuse (Médine), dont l’accès aux non-musulmans, est prohibé, aujourd’hui, fut signée avec le Prophète, par les juifs et les chrétiens de Najrân, qui constituaient une nation unique où chaque confession pratiquait librement son culte.

L’édifice, éminemment humain, que l’Islam et la Chrétienté s’ingénient à consolider, refuse de reconnaître toute discrimination ;  nulle distinction entre les hommes, si ce n’est celle fondée sur la valeur personnelle de chacun.

Je sens, moi musulman, combien j’aime, en la personne des promoteurs vénérés des Gens du Livre : Moïse, Jésus, Mohammed et la Sainte Marie, vierge et immaculée. Je ne peux guère ne pas les aimer, sous la fallacieuse influence déprimante d’une excentricité de teinte ou de confession, tendant à fausser le cours spontané et adéquat de l’histoire, histoire de notre pensée révélée. Je sens, bien sincèrement, que mon amour, pour Jésus et la Sainte Marie, jaillit avec vigueur, d’une même source, celle qui fait déborder mon Cœur, du même amour pour mon Prophète Mohammed. Un seul Dieu, un Vrai, cimente notre union, dans une harmonie hautement concordante.

C’est, là, le sublime processus, élaboré par Dieu, dans Ses Inscriptions, qui ouvrent, devant nous, une voie toute tracée de l’avenir, d’un avenir de concorde et de cohésion, si florissant. Le secret de cette corrélation révélée, réside dans la culture commune des sciences, la préférence donnée aux options humaines, dans sa destinée transcendante, l’équilibre sciemment maintenu  et  l’universalisme de la pensée abrahamique ; « Qui, donc - souligne le Coran - trouve mieux que la voie d’Abraham religieuse ? » (Sourate II, verset 124 ( .

On questionna, un jour, le Prophète sur la meilleure des religions : «c’est - répondit-il - sans hésiter,  la plus aisée, celle d’Abraham» (Tabarany ( .
« Pas de contrainte en religion. La voie de la raison est, désormais, différenciée de l’errance » (Coran, Sourate 2, verset 256 ( . «Crois en Dieu, et suis le droit chemin» (Mouslim) ; c’est la définition de l’Islam, émise par le Prophète.

Dans une autre Sourate (S. 109, 6 versets (  : «Dis (O ! Mohammed (  : O ! Vous les Mécréants ! Je n’adore  pas ce que vous adorez ; et, vous n’êtes pas disposés à adorer ce que j’adore ; je ne suis pas (de mon coté ( disposé à adorer ce que vous adorez. A vous votre religion et à moi la mienne». Ces deux sourates ont été révélées à la Mekke,  au début de l’Islam, ce qui incite certains à prétendre que Mohammed, faible et menacé  par ses adversaires, dut être conciliant mais contraint à quitter sa ville natale,  pour se réfugier à Médine. Or, revenu victorieux à la Mekke, moins d’une décennie avant sa mort, il s’adressa aux mécréants vaincus qui l’avaient dénigré et torturé : «Allez-y, vous êtes libres, bien libres ; j’espère qu’Allah fasse sortir de vos lombes génératrices, des enfants qui l’adorent.».

L’Etiquette abrahamique marque deux rites cultuels mohammadiens : la fête du Sacrifice du mouton,  qui est une reconnaissance et une réminiscence du geste d’Ismaïl, fils d’Abraham, qui, sous le bras immolateur de l’ange, donna le plus bel exemple d’abnégation, dont l’Islam commémore l’idéalisme par l’Aïd El Kébir. Cette fête, la plus grande chez les Musulmans, dépasse même la fête de la naissance du Prophète. Quant au pèlerinage, dont le théâtre, aussi, est la Mekke, il constitue un congrès panislamique annuel, auquel tout un chacun des musulmans, parmi plus d’un milliard d’âmes, doit participer, au moins une fois dans sa vie.

L’Islam abrahamique, englobant les Religions Révélées, est un système éthique, dont la clarté et l’idéalisme, l’imprègnent profondément d’un humanisme transcendant, mais pratique.
L’Islam et la Chrétienté ont, ainsi, un rôle social commun à jouer, dans l’élaboration d’une cité idéale. Les Ecrits Révélés en firent une assise d’idéalisme.

L’Islam, à l’encontre de ce que certains pensent, s’ingéniait à résorber l’esclavage, alors que des Nations refusent, encore aujourd’hui, d’adhérer à la Convention Internationale, sur son abolition. Omar, deuxième khalife du Prophète, s’adressant à ceux, qui prenaient plaisir à subjuguer les hommes, leur dit : «  pourquoi, donc, imposer votre joug à des hommes nés libres ? ». L’esclavage, tel qu’il est conçu en Islam, est un fait de guerre ; le véritable esclave est le prisonnier de guerre ; l’incarcération se perpétue, actuellement, depuis des décennies, tels les détenus des deux grandes Guerres en 1914 et 1940. Toute traite, en dehors de ce principe, demeure illégale, quoiqu’elle fût pratiquée, de tous temps, en terre d’Islam, contrairement à ses prescriptions. Sidi Ahmed ne cessa de s'approprier des " esclaves ", des deux sexes, pour les libérer. Le nombre des affranchis atteignit un jour 25 personnes ; dans ce forum ménager, les "esclaves", menaient un train de vie chastement libéral et hautement fraternel. Sidi Ahmed ordonnait, constamment, à ses compagnons de ne guère dévier de ce concept idéalement mohammadien.  Le monde a connu, au Moyen Age, et même durant les Temps Modernes, un autre genre d’esclavage, à travers la piraterie maritime. Les Souverains marocains ont constitué des milices maritimes, en pleine Méditerranée, pour la combattre ; le Sultan alaouite Mohammed III imposait à l’Occident, dans les clauses de ses traités bilatéraux, la libération de ces hommes, victimes de gestes maléfiques des corsaires chrétiens et musulmans (Caillé dan son ouvrage sur les Traités, les Conventions de Mohamed III). 

Quand on parle de l’Islam comme catalyseur d’un modernisme équilibré, option de demain, on n’entend, par là, que la pensée abrahamique, qui englobe les Trois Religions Révélées : L’Evangile, comportant, selon l’Islam, des éléments authentiques, a été admis, en bloc par le Coran, qui prescrit aux Musulmans de croire à la Thora et à l’Evangile. Le Concile du Vatican II a reconnu, dans un document publié en 1970, intitulé «Orientations», la nécessité d’un dialogue entre Chrétiens et Musulmans. Pour réviser «Les injustices du passé - dit-il - dont l’Occident, d’éducation chrétienne, s’est rendu coupable, à l’égard des Musulmans». Cette attitude, d’objectivité bienveillante, s’inscrit à l’actif du pape Paul VI, animé,  comme il le reconnaît lui-même, «d’une foi profonde, dans l’unification des mondes islamique et chrétien, qui adorent un seul Dieu».

Certes, dans le parallélisme effectif, existant entre le Coran d’une part, et l’Ancien et le Nouveau Testament, d’autre part, une unité foncière tranche, dans la symbiose «foi chrétienne» et «dogme islamique». Ce qui fausse cette osmose originelle, c’est le manque d’objectivité et la tendance, chez les uns et les autres, à alimenter un sectarisme prononcé et des passions religieuses excentriques.

Conciliant, aussi, les preuves rationnelles,  avec l’intuition religieuse du cœur, les Chrétiens et les Musulmans, se mettent au même diapason. Pascal dût recourir, dans son ouvrage «ses Pensées»,  publié en 1670, à l’axiome du pari, où l’intuition (connaissance inspirée par le cœur), est étayée par des tests pratiques sensibles ; «l’homme doit croire, - dit-il -  parce qu’il y a intérêt», la notion du pari est citée dans le Coran, comme processus probant (dans la sourate 40, verset 28) ;  «S’il (l’homme) ment, son message retombera sur lui , et s’il dit vrai, vous serez touchés, par une partie de ce qu’il vous promet». «Rien dans l’enseignement du Prophète – souligne l’auteur des «Visages de l’Islam», ne rebute l’entendement, rien ne heurte le bon sens commun ; l’idéalisme le plus élevé est allié au réalisme le plus positif».

La raison est définie, comme une faculté propre à l’homme, qui lui permet de connaître et de juger. Là, le psychique rejoint le rationnel, car la raison et la psyché sont une osmose, où des subtilités impondérables s’interpénètrent, intimement. Le philosophe humaniste voit, dans le subtil cosmique, un élément divin, donc sacré, car «la parfaite raison fuit tout extrémisme». C’est une symbiose, qui structure la personnalité, dans son entité, et, associe des impondérables, qui semblent, différents les uns des autres. Le sentiment et l’instinct n’ont pas de place, dans le vrai raisonnement, car, comme le dit Pascal : «Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point». Là,  l’idée de complémentarité, entre faits ou états jugés contradictoires, a été introduite en Physique par Heisenberg et Bohr, qui en font un mobile commun. Robert Linssen affirme que, c’est là, «un messager de lien entre les deux pôles de l’Univers : le physique, d’une part et le psychique et le spirituel, d’autre part». On ne saurait mieux interpréter le parallélisme, existant entre la mémoire électronique, et celle de l’homme, la cybernétique et le cerveau humain.

Ainsi le soufisme mohammadien, est le compendium des traditions authentiques sublimes, qui tendent à créer, dans le comportement d’un vrai croyant, un équilibre humainement rationnel.
Le croyant recherche la vérité, partout où elle se trouve. L’émigration d’un musulman, en terre de mécréance est, non seulement légitime, mais devient obligatoire, quand elle tend à rechercher le savoir, l’expérience et un moyen de vivre correct et digne ; mais, tout cela, à la condition sine qua non, que le croyant puisse accomplir librement son culte, dans une ambiance de paix  et de tolérance mutuelle.

Le Maroc était, d’autre part, une terre de refuge pour les Chrétiens, opprimés par les grands Seigneurs de l’Europe féodale ; «des chevaliers ou des princes  européens, mécontents de leurs suzerains, purent abandonner leurs biens et venir en Afrique, servir les rois musulmans». Il constitua une milice maritime, pour contrôler les méfaits des corsaires, aussi bien musulmans que chrétiens.

Les Almohades, dont l’Empire englobait, alors toute, l’Afrique du Nord, avec l’Andalousie,  établissaient, avec les nations chrétiennes, des rapports, à travers des traités qui reflètent l’esprit de haute cordialité, qui animait les Marocains et les Chrétiens. Mass Latrie, qui, dans l’introduction de son ouvrage «Les Traités», fit un vibrant exposé de la législation, alors en vigueur au Maroc, a précisé que ses «principes libéraux supportaient avantageusement la comparaison, avec les règles du Droit des Gens, pratiquées, alors, en Europe».

Ces illustrations mettent en relief le sens international, qui avait animé le Maghreb, dont la haute conception de l’entraide et de solidarité entre nations, trouvait son expression dans l’élan sincère, qui les portait souvent, au secours d’un Etat en détresse. En plein XIIème siècle, se nouaient «des relations politiques confidentielles, entre princes, opposés dans leurs croyances religieuses». On a vu le mérinide Abou Youssouf écrire, en 1282 apr. J., au roi de France Philippe III, pour l’engager à venir venger, en Espagne, l’honneur et la dignité d’Alphonse X, outragé par la conduite de son fils Don Sanche. Il lui adressa, en même temps, une déclaration, tenue encore en original, dans les Archives de France, et publiée par De Sacy, dans ses mémoires de l’Académie des Inscriptions (p 420) : «Nous sommes accourus  de nos Etats - affirme le Sultan - avec toute la force de notre foi, dans l’idéalisme de la haute morale internationale». Le Roi Moulay Ismail, considéré comme «le plus grand protecteur des Franciscains», promulgua deux dahirs (datés respectivement de décembre 1711 et juillet 1714), qui décrétaient «la peine de mort contre tous ceux, qui s’aviseraient de molester les  chrétiens ou de les insulter».

Au Maroc, musulmans et chrétiens se côtoyaient dans une même cité. Un des quartiers de Fès, capitale spirituelle du Maroc, dit Quartier de l’Eglise, avait groupé, à la fin du IXème siècle de l’ère chrétienne, les éléments chrétiens de la ville ; pour la même époque, notre ami Berque, contrôleur civil, lors du Protectorat français au Maroc, cite le nom de Gerbert, né en Auvergne (938-1003), comme étudiant à la vielle Université de la Qaraouiyène, devenu Pape, en l’an 999 apr. J. sous le nom de sylvestre II.

Sous le sultan Almoravide, Ali Ben Youssef Bin Tachfine, le percepteur général des impôts au Maroc, était un chrétien. Notre vocation méditerranéenne, est cristallisée par les échanges entre le Maghreb et l’Occident, que nous n’aurions guère cessé d’entretenir, dans un mutuel apport, sans cet «accident colonial», qui devait, par son élan expansionniste, fausser le cours transcendant de notre histoire. Pour redresser certains torts, perpétrés en l’occurrence, nous avons milité, maghrébins et chrétiens, pour la consolidation d’une réelle entente, et demeurer, dans le processus idéal du cours de notre histoire commune. Nous avons constitué, dans les années soixante-dix, à Genève, l’Association «Islam-Occident». Nous étions quatre à co-fonder cet Organisme. Le grand leader Maarouf Dawalibi, conseiller des rois saoudiens et deux chrétiens : dont Marcel Boisard, le grand humaniste français. Le monde Arabe était largement ouvert aux missionnaires chrétiens. L’Arabe respecte les Pères Blancs, parce qu’il les prend pour des marabouts ; On ne convertit pas les musulmans (le Général du Barail, cité par G. Surdon dans ses «Institutions et Coutumes des Berbères du Maghreb P. XV). Lavigerie mit en relief «l’inutilité de l’activité missionnaire, chez les musulmans (Ibid. P. V II). Parlant des musulmans de Sicile et de l’activité missionnaire, portée à leurs croyances, Millet y voit, dans son ouvrage (les Almohades P. 78), «La première étape de cette longue campagne, entreprise par le Siège de Rome, contre tout essai de transaction entre l’Islam et la chrétienté, véritable  cause de mésintelligence persistante qui, jusqu’à nos jours, a divisé les deux religions». Au contraire, Millet relate dans son ouvrage « les Almohades » (P. 147), chez El Mansour l’Almohade, un premier essai de réconciliation doctrinale, entre les deux religions, sorties de la même souche ?

La Méditerranée connut, alors, un long répit, jusqu’à l’avènement de la Reconquista. Malheureusement, la Sainte Alliance tenta un nouveau processus, à l’encontre de l’esprit fraternel commun, qui liait l’Islam à la Chrétienté. La porte, est, alors ouverte au colonialisme occidental, qui sévit, toute la Méditerranée, avec l’invasion de l’Algérie en 1830.

Les Juifs jouissaient au Maroc, à cette époque, de droits civils, pleins et entiers, en tant que sujets, devenus aujourd’hui de vrais citoyens, avec des droits civiques effectifs. Ils étaient intégrés dans la société musulmane, sans astreinte à aucune obligation, portant atteinte à leurs traditions ou à leur culture. Le fait dépasse la notion de tolérance, qui implique un certain fardeau, supporté bon gré, malgré par les uns, à l’encontre des autres. L’attachement du juif marocain à son identité, à son origine et à ses atouts écologiques propres, a été légalement honoré, dans le cadre de sa citoyenneté, qui constitue un cachet de mérite spécifique

David Corcos, Juif marocain installé à Jérusalem, où il décéda en 1975, souligne, dans son ouvrage : « Studies in the  History of the Jews of Morocco », que « nulle dynastie au Maroc, ne fut hostile aux juifs… nous n’y trouvons que des actes d’amabilité, des expressions de bonne volonté et des traités d’alliance».

Quand les persécuteurs castillans s’acharnaient, en Andalousie contre les Juifs, le prédicateur El Maghili, un des grands cadis et savants canoniques de l’Empire, fut exilé de Fès, pour avoir entrepris une campagne anti-juive. Bien avant, les Juifs, d’après maints historiens occidentaux, furent chassés d’Italie en 1242, d’Angleterre en 1290, des Pays-Bas en 1350, du Midi de la France en 1395 ; l’émigration forcée amena au Maroc, en 1403, d’autres émigrants de France et d’Angleterre, et en 1492, ceux du Portugal et de l’Espagne.

Ces vagues de juifs persécutés n’ont trouvé, durant quatre siècles, que le Maghreb, comme terre de refuge et centre hospitalier.
Ely Mansano affirme, que les Uléma de Fès décidèrent d’envoyer à leurs citoyens juifs, des mémorandum, les incitant à s’attacher aux enseignements du judaïsme et à leurs traditions, condition sine qua non de leur progrès (Hesperis, document n° 28, 1945).

Mais, après ce processus, qui conforte la symbiose, entre les deux religions, on peut se demander, comment l’islam, qui proclame le monothéisme abrahamique, a, pourtant, combattu des Chrétiens. Si on scrute les péripéties de l’islam, à son avènement, on se rend compte, qu’il n’a jamais essayé de combattre les Chrétiens. Mais, après le Pacte de la Houdaybilla, passé à la Mecque, avec les mécréants, il envoya des émissaires,  auprès de certains Empereurs de confession chrétienne, tels César et Négus d’Ethiopie. Ce furent les chrétiens Syriens, qui déclarèrent la guerre, contre les promoteurs de l’Islam, en assassinant certaines personnes, qui avaient adopté, spontanément, la nouvelle religion Abrahamique. Le Prophète, attaqué indirectement, se voyait dans l’obligation de réagir. Il dépêcha à «Mouta», cité syrienne, une expédition, pour engager la première bataille, contre les frères chrétiens, que le Prophète respectait. Le Jihad consistait, donc, en une guerre défensive contre l’agression, pour la protection d’une campagne pacifique, menée, sans contrainte aucune, dans le cadre d’une liberté confessionnelle, plaine et entière. L’Islam n’a nullement songé à éteindre, dans le sang, une foi concurrente. Si le musulman a prêché l’Islam, il s’est toujours abstenu de faire pression sur le cœur des       non-musulmans. L’Islam, loin donc d’être imposé par le concurrent arabe, n’avait pas mené de propagande pour gagner du terrain. L’anglais Thomas Arnold nous cite, pourtant, deux cas où le vainqueur non-musulman, s’empressa d’adopter, de plein gré, la religion des musulmans vaincus ; les Tartares et les Turcs du XI siècle ne purent résister à l’attrait de la foi musulmane. Le Vatican, dans son document «Orientations», oppose l’idée répandue de l’Islam, religion de la crainte, à l’idée de religion de l’amour, enracinée dans la foi en Dieu.

Cette politique ne recherche, guère, la cause réelle de ce malaise, qui se meut, chaque jour, en confrontation effrénée, par des faits qu’aucun esprit, réellement et humainement rationnel, ne saurait admettre ; à savoir, une série d’exactions, d’injustices, de spoliations, cristallisées par un positionnement inhumain, où la politique des deux poids et deux mesures, semble être la seule assise, qui tend à miner cette harmonieuse symbiose, qu’une pensée fraternelle commune avait érigée et tant consolidée.

Ce que je désire marquer, en conclusion, c’est la communion symbiotique, entre le somatique et le discursif. Socrate, dans son discours rationnel, voit, dans l’homme «un savoir ou un joint confus du bien, conforme à la raison» ; c’est là, le vecteur de corrélation, au sein du for intérieur, entre deux éléments apparemment opposés. Un colloque a tenu ses assises, à Pékin, en 1966, réunissant des Sommités tels Holgar Hyden, Egyhasie, Alfred Herman, Robert Linssen et autres, qui soulignent, que l’électron est «le messager servant de lien entre les deux pôles de l’univers : le physique d’une part et le psychique et le spirituel d’autre part». Là, où la matière a son électron, la spiritualité a le sien ; l’équilibre entre les deux, aura pour résultante une complémentarité, sans discordance : c’est l’effet de la plénitude de la personnalité humaine. C’est le concept Mohammadien du Dahir et Bâtine.

 Alexis Carel, Prix Nobel, souligne dans son ouvrage «la Prière», que, là où la thérapie classique faillit, l’invocation de Dieu s’avère opérationnelle. Un certain Oknel, rédacteur scientifique de la Revue américaine News-Chronical (en 1960 ( , nous cite quelques propos d’Ali ben Abi Talib, gendre du Prophète et promoteur du soufisme islamique : «Si vous ouvrez  -dit-il- un atome, vous trouverez un soleil, auteur duquel tournent des planètes». N’est-ce pas, là, une allusion au système solaire ? Le Chiite persan, Jalal ed-Dine er-Roumi (XIIIème ap. J.C. , considéré, notamment, aux USA, comme le plus grand des soufis, de tous les temps, affirme, dans son «Metnawi» (épopée de cinquante mille vers   : «Gardez-vous bien de manipuler, à la légère, un atome, car vous risquez de réduire le Monde en cendre»). Prévision, faite, sept siècles, avant Hiroshima ; est-ce, là, une intuition, qui insuffle une compréhension immédiate, sans recours au raisonnement discursif ? Bergson fait de l’intuitionnisme le mode privilégié de la connaissance.

Le système soufi a été élaboré par deux chefs apparemment opposés : Ibn Arabi el Haïtami, un des pôles soufis andalous, et Avicenne un des grands esprits scientifiques. Leur doctrine humaniste est caractérisée par une double dialectique de lumière et d’amour ; mais tandis que la Pensée d’Ibn Arabi est de quintessence spirituelle, celle d’Avicenne n’aurait pu se saisir sans un mouvement initial de mystique naturel qui le traverse.
Aussi la révélation coranique demeure la structure de base chez les deux philosophes qui représentent respectivement la pensée philosophique et la conception soufie non altérée par l’intellect (se référer à « Philosophie Religieuse d’Avicenne » Gardet p.195) .

 

Renvois :

  1. N.d.e. : « oraison surérogatoire »
  2. N.d.e. : « Dhikrs et prières que le soufi invoque quotidiennement »
  3. L'Islam dans l'Afrique occidentale par A. Le Châtelier (p.p.189)
  4. Aïn Mâdi est un village édifié au XIème siècle de l'ère chrétienne par Mâdi Ben Yacob, à proximité d'une source d'eau. Des Pois J. : Le Djebel Amour ( Algéria), 1956 (p79)Daumas, M.J.E., Le Sahara Algérien, 1845 (p35)
  5. Se référer à mon ouvrage sous presse " Fès, Centre d'épanouissement de l'Afrique ", édité par l'Association Fès-Saïs.
  6. Se référer à l'ouvrage de Delphyn " Fès, son Université ",(éd. 1889) et Godart, " Description et Histoire du Maroc ", Paris, 1860, 2 vol.
  7. Gerbert d'Aurillac, devenu Pape, sous le nom de Sylvestre II, en l'an 999 apr.J., y avait fait - dit-on - ses études, comme le confirme J. Berque
  8. Cités, avec leur éminente biographie, par le grand traditionniste Mohammed el Hjouji de Demnât (décédé en l'an 1370h /1950 apr.J.) dans son ouvrage manuscrit " Feth el 'Allâm "